tenait le caissier général, avec un monumental coffre-fort à trois compartiments. Mais là était l’argent du patrimoine de Saint-Pierre, les recettes administratives faites à Rome ; tandis que l’argent du denier, des aumônes de la chrétienté entière, restait entre les mains de Léon XIII, qui seul en savait exactement le chiffre, et qui vivait seul avec ces millions, dont il disposait en maître absolu, sans rendre de comptes à personne. Aussi ne quittait-il pas sa chambre, lorsque les domestiques faisaient le ménage. À peine consentait-il à rester sur le seuil de la pièce voisine, pour éviter la poussière. Et, quand il devait s’absenter pendant quelques heures, descendre dans les jardins, il fermait les portes à double tour, il emportait sur lui les clés, qu’il ne confiait jamais à personne.
Narcisse s’arrêta, se tourna vers monsignor Nani.
— N’est-ce pas, monseigneur ? Ce sont là des faits connus de toute Rome.
Le prélat, qui hochait la tête de son air souriant, sans approuver ni désapprouver, s’était remis à suivre sur le visage de Pierre l’effet produit par ces histoires.
— Sans doute, sans doute, on dit tant de choses !… Je ne le sais pas, moi ; mais puisque vous le savez, monsieur Habert !
— Oh ! reprit celui-ci, je n’accuse pas Sa Sainteté d’avarice sordide, comme le bruit en court. Il circule des fables, les coffres pleins d’or, où elle passerait des heures à plonger les mains, les trésors entassés dans des coins, pour le plaisir de les compter et de les recompter sans cesse… Seulement, on peut bien admettre que le Saint-Père aime tout de même un peu l’argent pour lui-même, pour le plaisir de le toucher, de le ranger, quand il est seul, une manie bien excusable chez un vieillard qui n’a point d’autre distraction… Et je me hâte d’ajouter qu’il aime l’argent plus encore pour la force sociale qui est en lui, pour l’appui décisif qu’il doit donner à la papauté de demain, si elle veut vaincre.