Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/262

Cette page n’a pas encore été corrigée

quelle odeur puissante ils nous faisaient battre le cœur ! Je ne peux plus les respirer, maintenant, sans défaillir.

Giacomo apportait la lampe, et Pierre remonta chez lui. Dans le petit escalier, il trouva Victorine, qui eut un léger sursaut, comme si elle s’était postée là, à le guetter sortir du salon. Elle le suivit, elle causa, se renseigna ; et, tout d’un coup, le prêtre eut conscience de ce qui s’était passé.

— Pourquoi donc n’êtes-vous pas accourue, lorsque votre maîtresse vous a appelée, puisque vous étiez en train de coudre dans l’antichambre ?

D’abord, elle voulut faire l’étonnée, dire qu’elle n’avait rien entendu. Mais sa bonne figure de franchise ne pouvait mentir, riait quand même. Elle finit par se confesser, de son air brave et gai.

— Dame ! est-ce que ça me regardait, d’intervenir entre des amoureux ? Et puis, j’étais bien tranquille, je savais que le prince l’aime trop pour lui faire du mal, à ma petite Benedetta.

La vérité était que, comprenant ce dont il s’agissait, au premier appel de détresse, elle avait posé doucement son ouvrage sur la table et s’en était allée à pas de loup, pour ne pas avoir à déranger ses chers enfants, ainsi qu’elle les nommait.

— Ah ! la pauvre petite ! conclut-elle, comme elle a tort de se martyriser pour des idées de l’autre monde ! Puisqu’ils s’aiment, où serait le mal, grand Dieu ! s’ils se donnaient un peu de bonheur ? La vie n’est pas si drôle. Et quel regret, plus tard, le jour où il ne serait plus temps !

Resté seul, dans sa chambre, Pierre se sentit tout d’un coup chancelant, éperdu. Les grands buis amers ! les grands buis amers ! Comme lui, elle avait frissonné à leur âpre odeur de virilité, et ils revenaient, et ils évoquaient ceux des jardins pontificaux, des voluptueux jardins romains, déserts et brûlants sous l’auguste soleil. Sa journée