mille fois en lui répétant que je l’adorais, que j’étais désespérée de faire son malheur, que je mourrais sûrement de ma peine, à le voir si malheureux. Peut-être a-t-il pu se croire encouragé ; et, d’ailleurs, il n’est pas un ange, je n’aurais pas dû le garder de la sorte, si longtemps sur mon cœur… Vous comprenez, monsieur l’abbé, il a fini par être comme un fou et par vouloir la chose que, devant la Madone, j’ai juré de ne jamais accorder qu’à mon mari.
Elle disait cela tranquillement, simplement, sans embarras aucun, de son air de belle fille raisonnable et pratique. Un faible sourire parut sur ses lèvres, quand elle continua.
— Oh, je le connais bien, mon pauvre Dario, et ça ne m’empêche pas de l’aimer, au contraire. Il a l’air délicat, un peu maladif même ; au fond, c’est un passionné, un homme qui a besoin de plaisir. Oui ! c’est le vieux sang qui bouillonne, j’en sais quelque chose, car j’ai eu des colères, étant petite, à rester par terre, et aujourd’hui encore, quand le grand souffle passe, il faut que je me batte contre moi-même, que je me torture, pour ne pas faire toutes les sottises du monde… Mon pauvre Dario ! il sait si mal souffrir ! Il est tel qu’un enfant dont les caprices doivent être contentés ; mais, au fond pourtant, il a beaucoup de raison, il m’attend, parce qu’il se dit que le bonheur sérieux est avec moi, qui l’adore.
Et Pierre vit alors se préciser pour lui cette figure du jeune prince, restée vague jusque-là. Tout en mourant d’amour pour sa cousine, il s’était toujours amusé. Un fond d’égoïsme parfait, mais un très aimable garçon quand même. Surtout une incapacité absolue de souffrir, une horreur de la souffrance, de la laideur et de la pauvreté chez lui et chez les autres. De chair et d’âme pour la joie, l’éclat, l’apparence, la vie au clair soleil. Et fini, épuisé, n’ayant plus de force que pour cette vie d’oisif, ne sachant même plus penser et vouloir, à ce