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beau, ce soir. Il va sûrement venir. Ayons quelque patience.

Et, pendant que Narcisse donnait ces détails, Pierre, également dans l’attente, voyait revivre devant lui toute l’extraordinaire Histoire. C’étaient d’abord les papes mondains et fastueux de la Renaissance, ceux qui avaient ressuscité passionnément l’antiquité, rêvant de draper le Saint-Siège dans la pourpre de l’Empire : Paul II, le Vénitien magnifique, qui avait bâti le palais de Venise, Sixte IV, à qui l’on doit la chapelle Sixtine, et Jules II, et Léon X, qui firent de Rome une ville de pompe théâtrale, de fêtes prodigieuses, des tournois, des ballets, des chasses, des mascarades et des festins. La papauté venait de retrouver l’Olympe sous la terre, dans la poussière des ruines ; et, comme grisée par ce flot de vie qui remontait du vieux sol, elle créait les musées, en refaisait les temples superbes du paganisme, rendus au culte de l’admiration universelle. Jamais l’Église n’avait traversé un tel péril de mort, car, si le Christ continuait d’être honoré à Saint-Pierre, Jupiter et tous les dieux, toutes les déesses de marbre, aux belles chairs triomphantes, trônaient dans les salles du Vatican. Puis, une autre vision passait, celle des papes modernes avant l’occupation italienne, Pie IX libre encore et sortant souvent dans sa bonne ville de Rome. Le grand carrosse rouge et or était traîné par six chevaux, entouré par la garde suisse, suivi par un peloton de gardes nobles. Mais, parfois, au Corso, le pape quittait le carrosse, poursuivait sa promenade à pied ; et, alors, un garde à cheval galopait en avant, avertissait, faisait tout arrêter. Aussitôt, les voitures se rangeaient, les hommes en descendaient pour s’agenouiller sur le pavé, tandis que les femmes, simplement debout, inclinaient la tête dévotement, à l’approche du Saint-Père, qui, d’un pas ralenti, allait ainsi avec sa cour jusqu’à la place du Peuple, souriant et bénissant. Et, maintenant,