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et il lui fallut échapper à l’étreinte du monstre, oublier ce qu’il venait de voir, s’habituer à ce qu’il voyait là, pour en goûter toute la beauté pure. C’était comme un vin trop rude qui l’avait d’abord étourdi et qui l’empêchait de goûter ensuite cet autre vin plus léger, d’un bouquet délicat. Ici, l’admiration ne frappe pas en coup de foudre ; mais le charme opère avec une puissance lente et irrésistible. C’est Racine à côté de Corneille, Lamartine à côté d’Hugo, l’éternelle paire, le couple de la femelle et du mâle, dans les siècles de gloire. Avec Raphaël, triomphent la noblesse, la grâce, la ligne exquise et correcte, d’une harmonie divine ; et ce n’est plus seulement le symbole matériel superbement jeté par Michel-Ange, c’est une analyse psychologique d’une pénétration profonde, apportée dans la peinture. L’homme y est plus épuré, plus idéalisé, vu davantage par le dedans. Et, toutefois, s’il y a là un sentimental, un féminin dont on sent le frisson de tendresse, cela est aussi d’une solidité de métier admirable, très grand et très fort. Pierre peu à peu s’abandonnait à cette maîtrise souveraine, conquis par cette élégance virile de beau jeune homme, touché jusqu’au fond du cœur par cette vision de la suprême beauté dans la suprême perfection. Mais, si la Dispute du Saint-Sacrement et l’École d’Athènes, antérieures aux peintures de la chapelle Sixtine, lui parurent les chefs-d’œuvre de Raphaël, il sentit que, dans l’Incendie du Bourg, et plus encore dans l’Héliodore chassé du Temple et dans l’Attila arrêté aux portes de Rome, l’artiste avait perdu la fleur de sa divine grâce, impressionné par l’écrasante grandeur de Michel-Ange. Quel foudroiement, lorsque la chapelle Sixtine fut ouverte et que les rivaux entrèrent ! Le monstre avait procréé en bas, et le plus grand parmi les humains y laissa de son âme, sans jamais plus se débarrasser de l’influence subie.

Puis, Narcisse conduisit Pierre aux loges, à cette galerie