pieds ; le flot débordant des inconnus qui noyait le personnage, l’évêque, le martyr ; la plus touchante des égalités, celle de la modestie au fond de toute cette poussière, les cases pareilles, les plaques sans un ornement, la même ingénuité et la même discrétion confondant les rangées sans fin de têtes ensommeillées. C’était à peine si les inscriptions se permettaient des louanges, et combien prudentes, combien délicates : les hommes sont très dignes, très pieux, les femmes sont très douces, très belles, très chastes. Un parfum d’enfance montait, une tendresse illimitée et si largement humaine, la mort de la primitive communauté chrétienne, cette mort qui se cachait pour revivre et qui ne rêvait plus l’empire de ce monde.
Et, brusquement, Pierre vit se dresser dans son souvenir les tombeaux de la veille, ces tombeaux fastueux qu’il avait évoqués aux deux bords de la voie Appienne, qui étalaient au plein soleil l’orgueil dominateur de tout un peuple. Ils éclataient d’une ostentation superbe, avec leurs dimensions colossales, leur entassement de marbres, leurs inscriptions indiscrètes, leurs chefs-d’œuvre de sculpture, des frises, des bas-reliefs, des statues. Ah ! cette avenue de la mort pompeuse, en pleine Campagne rase, menant comme une voie de triomphe à la ville reine, éternelle, quel contraste extraordinaire, lorsqu’on la comparait à la cité souterraine des chrétiens, cette cité de la mort cachée très douce, très belle, très chaste ! Ce n’était plus que du sommeil, de la nuit voulue et acceptée, toute une résignation sereine, à qui il ne coûtait rien de se confier au bon repos de l’ombre, en attendant les béatitudes du ciel ; et il n’était pas jusqu’au paganisme mourant, perdant de sa beauté, cette maladresse de main des ouvriers ingénus, qui n’ajoutât au charme de ces pauvres cimetières, creusés loin du soleil, dans la nuit de la terre. Des millions d’êtres s’étaient couchés humblement dans cette terre forée comme par des fourmis prudentes, y