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cassure irréparable, le mal sans remède, le chancre de la misère sûrement mortel, qu’il comprit les violents, prêt lui-même à accepter l’ouragan dévastateur et purificateur, la terre régénérée par le fer et le feu, comme autrefois, lorsque le Dieu terrible envoyait l’incendie pour assainir les villes maudites.

Mais l’abbé Rose, ce soir-là, en l’entendant sangloter, monta le gronder paternellement. C’était un saint, d’une douceur et d’un espoir infinis. Désespérer, grand Dieu ! quand l’Évangile était là ! Est-ce que la divine maxime : « Aimez-vous les uns les autres », ne suffisait pas au salut du monde ? Il avait l’horreur de la violence, et il disait que, si grand que fût le mal, on en viendrait tout de même bien vite à bout, le jour où l’on retournerait en arrière, à l’époque d’humilité, de simplicité et de pureté, lorsque les chrétiens vivaient en frères innocents. Quelle délicieuse peinture il faisait de la société évangélique, dont il évoquait le renouveau avec une gaieté tranquille, comme si elle devait se réaliser le lendemain ! Et Pierre finit par sourire, par se plaire à ce beau conte consolateur, dans son besoin d’échapper au cauchemar affreux de la journée. Ils causèrent très tard, ils reprirent les jours suivants ce sujet de conversation que le vieux prêtre chérissait, abondant toujours en nouveaux détails, parlant du règne prochain de l’amour et de la justice, avec la conviction touchante d’un brave homme qui était certain de ne pas mourir sans avoir vu Dieu sur la terre.

Alors, chez Pierre, une évolution nouvelle se fit. La pratique de la charité, dans ce quartier pauvre, l’avait amené à un attendrissement immense : son cœur défaillait, éperdu, meurtri de cette misère qu’il désespérait de jamais guérir. Et, sous ce réveil du sentiment, il sentait parfois céder sa raison, il retournait à son enfance, à ce besoin d’universelle tendresse que sa mère avait mis en lui, imaginant des soulagements chimériques, attendant une aide des puissances inconnues. Puis, sa crainte, sa haine