Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/170

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’elle chaque jour, au Corso, la trouvaient bien. Une particularité surtout l’avait rendue célèbre, des coups de cœur qui l’affolaient parfois, qui la faisaient se donner pour rien à l’aimé, n’acceptant strictement de lui chaque matin qu’un bouquet de roses blanches ; de sorte que, lorsqu’on la voyait, au Pincio, pendant des semaines souvent, avec ces roses pures, ce bouquet blanc de mariée, on souriait d’un air de tendre complaisance.

Mais Dario s’interrompit pour saluer cérémonieusement une dame qui passait dans un landau immense, seule en compagnie d’un monsieur. Et il dit simplement au prêtre :

— Ma mère.

Celle-ci, Pierre la connaissait. Du moins, il tenait son histoire du vicomte de la Choue : son second mariage, à cinquante ans, après la mort du prince Onofrio Boccanera ; la façon dont, superbe encore, elle avait pêché des yeux, au Corso, tout comme une jeune fille, un bel homme à son goût, de quinze ans plus jeune qu’elle ; et quel était cet homme, ce Jules Laporte, ancien sergent de la garde suisse, disait-on, ancien commis voyageur en reliques, compromis dans une histoire extraordinaire de reliques fausses ; et comment elle avait fait de lui un marquis Montefiori, de belle prestance, le dernier des aventuriers heureux, triomphant au pays légendaire où les bergers épousent des reines.

À l’autre tour, lorsque le grand landau repassa, Pierre les regarda tous les deux. La marquise était vraiment surprenante, toute la classique beauté romaine épanouie, grande, forte, très brune, avec une tête de déesse, aux traits réguliers, un peu massifs, n’accusant son âge que par le duvet dont sa lèvre supérieure était recouverte. Et le marquis, ce Suisse de Genève romanisé, avait vraiment fière tournure, avec sa carrure de solide officier et ses moustaches au vent, pas bête, disait-on, très gai et très souple, amusant pour les dames. Elle en était si glorieuse,