mangé que du pain sec, s’il l’avait fallu, pour garder sa voiture, son cheval et son cocher. À Rome, la voiture est le luxe indispensable.
— Monsieur l’abbé Froment, si vous voulez bien monter, je serai heureux de vous montrer un peu notre ville.
Sans doute il désirait faire plaisir à Benedetta, en étant aimable pour son protégé. Puis, dans son oisiveté, il lui plaisait d’initier ce jeune prêtre, qu’on disait si intelligent, à ce qu’il croyait être la fleur de Rome, la vie inimitable.
Pierre dut accepter, bien qu’il eût préféré sa promenade solitaire. Le jeune homme pourtant l’intéressait, ce dernier né d’une race épuisée, qu’il sentait incapable de pensée et d’action, fort séduisant d’ailleurs, dans son orgueil et son indolence. Beaucoup plus romain que patriote, il n’avait jamais eu la moindre velléité de se rallier, satisfait de vivre à l’écart à ne rien faire ; et, si passionné qu’il fût, il ne commettait point de folies, très pratique au fond, très raisonnable, comme tous ceux de sa ville, sous leur apparente fougue. Dès que la voiture, après avoir traversé la place de Venise, s’engagea dans le Corso, il laissa éclater sa vanité enfantine, son amour de la vie au dehors, heureuse et gaie, sous le beau ciel. Et tout cela apparut très clairement, dans le simple geste qu’il fit, en disant :
— Le Corso !
De même que la veille, Pierre fut saisi d’étonnement. La longue et étroite rue s’étendait de nouveau, jusqu’à la place du Peuple blanche de lumière, avec la seule différence que c’étaient les maisons de droite qui baignaient dans le soleil, tandis que celles de gauche étaient noires d’ombre. Comment ! c’était ça, le Corso ! cette tranchée à demi obscure, étranglée entre les hautes et lourdes façades ! cette chaussée mesquine, où trois voitures au plus passaient de front, que des boutiques serrées bordaient de leurs étalages de clinquant ! Ni espace libre, ni