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Orlando, s’abandonnant à ses souvenirs, dit sa joie vive, la veille du mariage, à la pensée de cette admirable créature qui serait sa fille, qui remettrait de la jeunesse et du charme autour de son fauteuil d’infirme. Il avait toujours eu le culte de la beauté, un culte passionné d’amant, dont l’unique amour serait resté celui de la femme, si la patrie n’avait pas pris le meilleur de lui-même. Et Benedetta, en effet, l’adora, le vénéra, montant sans cesse passer des heures avec lui, habitant sa petite chambre pauvre, qui resplendissait alors de l’éclat de divine grâce qu’elle y apportait. Il revivait dans son haleine fraîche, dans l’odeur pure et la caressante tendresse de femme dont elle l’entourait, sans cesse aux petits soins. Mais, tout de suite, quel affreux drame, et que son cœur avait saigné, de ne savoir comment réconcilier les époux ! Il ne pouvait donner tort à son fils de vouloir être le mari accepté, aimé. D’abord, après la première nuit désastreuse, ce heurt de deux êtres, entêtés chacun dans son absolu, il avait espéré ramener Benedetta, la jeter aux bras de Luigi. Puis, lorsque, en larmes, elle lui eut fait ses confidences, avouant son amour ancien pour Dario, disant toute sa révolte imprévue devant l’acte, le don de sa virginité à un autre homme, il comprit que jamais elle ne céderait. Et toute une année s’était écoulée, il avait vécu une année, cloué sur son fauteuil, avec ce drame poignant qui se passait sous lui, dans ces appartements luxueux dont les bruits n’arrivaient même pas à ses oreilles. Que de fois il avait essayé d’entendre, craignant des querelles, désolé de ne pouvoir se rendre utile encore en faisant du bonheur ! Il ne savait rien par son fils, qui se taisait ; il n’avait parfois des détails que par Benedetta, lorsqu’un attendrissement la laissait sans défense ; et ce mariage, où il avait vu un instant l’alliance tant désirée de l’ancienne Rome avec la nouvelle, ce mariage non consommé le désespérait, comme l’échec de tous ses espoirs, l’avortement final du rêve qui avait