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un Espagnol, je crois, vague coulissier à la Bourse, dont l’épaisse bouche de jouisseur est si inquiétante ! et d’autres, et des aventuriers, et des bandits, venus des quatre coins du monde !… Ah ! les colonies étrangères, quelques beaux noms sans tache, quelques grandes fortunes réelles, et par-dessous quelle tourbe !

C’était le salon même de Rosemonde, des titres retentissants, de vrais milliardaires, puis, dessous, le plus extravagant mélange des mensonges et des bas-fonds internationaux. Et Pierre songeait à cet internationalisme, à ce cosmopolitisme, au vol d’étrangers qui, de plus en plus dense, s’abat sur Paris. Certainement, il y venait pour en jouir, comme à une ville d’aventures et de joie, et il le pourrissait un peu davantage. Était-ce donc nécessaire, cette décomposition des grandes cités qui ont gouverné le monde, cet afflux de toutes les passions, de tous les désirs, de tous les assouvissements, ce terreau accumulé, apporté du globe entier, où s’épanouit en beauté et en intelligence la fleur de la civilisation ?

Mais Janzen arrivait, un grand garçon maigre d’une trentaine d’années, très blond, les yeux gris, pâles et durs, la barbe en pointe, les cheveux bouclés et longs, allongeant encore le visage blême, comme noyé de brume. Il parlait assez mal le français, à voix basse, sans un geste. Et il dit que la princesse était introuvable, il venait de la chercher partout. Peut-être, si quelqu’un lui avait déplu, était-elle montée s’enfermer dans sa chambre et se coucher, laissant ses invités s’amuser librement chez elle, à leur guise.

— Eh ! la voici ! dit tout d’un coup Massot.

Rosemonde était là, en effet, dans le vestibule, guettant, comme si elle eût attendu quelqu’un. Petite, mince, plutôt étrange que jolie, avec son visage fin, aux yeux vert de mer, au nez léger et frémissant, à la bouche un peu forte et trop saignante, montrant d’admirables dents,