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il voulait la baiser aux lèvres. Mais elle se défendait encore, elle le savait si peu sérieux, et puis il fallait auparavant qu’il se montrât gentil.

Lorsque Pierre, convaincu maintenant du succès, arriva devant l’hôtel de la princesse de Harth, avenue Kléber, toujours avec sa voiture, il retomba dans un grand embarras. L’avenue était obstruée d’équipages, amenés par la matinée musicale, et la porte de l’hôtel, garnie d’une sorte de tente de réception, aux lambrequins de velours rouge, lui parut inabordable, tellement le flot des arrivants s’y pressait. Comment allait-il pouvoir entrer ? comment surtout, avec sa soutane, pourrait-il voir la princesse et demander à entretenir un instant la baronne Duvillard ? Dans sa fièvre, il n’avait point songé à ces difficultés. Et il prenait le parti de gagner la porte à pied, il se demandait de quelle façon il se glisserait parmi la foule, inaperçu, lorsqu’une voix joyeuse le fit se tourner.

— Eh ! monsieur l’abbé, est-ce possible ? voilà que je vous retrouve ici !

C’était le petit Massot. Lui allait partout, faisait dix spectacles en un jour, séance parlementaire, enterrement, mariage, fête ou deuil quelconque, lorsqu’il était en mal de chronique, ainsi qu’il disait.

— Comment ! monsieur l’abbé, vous venez chez notre aimable princesse voir danser les Mauritaines !

Et il se moquait, car ces Mauritaines étaient une troupe de six danseuses espagnoles, qui faisaient alors courir tout Paris aux Folies-Bergère, par la sensualité brûlante de leurs déhanchements. Le ragoût était que ces filles réservaient pour les salons des danses plus libres encore, d’un tel abandon charnel, qu’on ne les aurait certainement pas autorisées dans un théâtre. Et le beau monde se ruait chez les maîtresses de maison hardies, les excentriques, les étrangères, telles que la princesse, qui ne reculaient devant aucune attraction.