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— Un ministère Vignon… Diable ! ce ne serait guère meilleur. Ces jeunes démocrates s’avisent de poser pour la vertu, et ce ne serait pas encore un ministère Vignon qui ferait entrer Silviane à la Comédie.

Il n’avait d’abord rien vu d’autre, dans la catastrophe dont tremblait le monde politique. Aussi, le député ne put-il s’empêcher de laisser percer sa propre anxiété.

— Eh bien ! et nous autres là-dedans, qu’est-ce que nous devenons ?

Cette parole ramena Duvillard à la situation. Avec un nouveau geste, superbe cette fois, il dit sa belle et insolente confiance.

— Nous autres, mais nous restons ce que nous sommes, nous n’avons jamais été en péril, je pense ! Ah ! je suis bien tranquille, Sanier peut publier sa fameuse liste, dans le cas où cela l’amuserait. Si nous n’avons pas acheté depuis longtemps Sanier et sa liste, c’est que Barroux est un parfait honnête homme, et que, moi, je n’aime pas jeter mon argent par la fenêtre… Je vous répète que nous ne craignons rien.

Puis, comme il reconnaissait enfin l’abbé Froment, resté dans l’ombre, Dutheil lui expliqua le service que celui-ci attendait de lui. Et, dans l’émotion où il se trouvait, le cœur encore meurtri par la rigueur de Silviane, il dut avoir le sourd espoir qu’une bonne action lui porterait chance, il consentit immédiatement à s’entremettre, pour l’admission de Laveuve. Ayant sorti de son carnet une carte de visite et un crayon, il s’approcha de la fenêtre.

— Mais tout ce que vous voudrez, monsieur l’abbé, je serai bien heureux d’être de moitié dans cette bonne œuvre… Tenez ! voici ce que j’écris. « Ma chère amie, faites donc ce que monsieur l’abbé Froment demande en faveur de ce malheureux, puisque notre ami Fonsègue n’attend qu’un mot de vous pour agir. »

À ce moment, Pierre, par la baie ouverte, aperçut Gé-