Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baron dans le fumoir. Ce dernier fut surpris, car Dutheil d’ordinaire montait comme chez lui. Puis, il pensa que le député lui apportait sans doute, de la Chambre, des nouvelles graves, qu’il désirait lui apprendre tout de suite, à part. Et il suivit le domestique, laissant ensemble Gérard et Silviane.

Dans le fumoir, une pièce qui ouvrait directement sur le vestibule par une baie, dont la portière était relevée, Pierre, debout, attendait avec son compagnon, en regardant curieusement autour de lui. Ce qui le frappait, c’était le recueillement presque religieux de cette entrée, les lourdes draperies, les clartés mystiques des vitraux, les meubles anciens baignant dans une ombre de chapelle, aux parfums épars de myrrhe et d’encens. Très gai, Dutheil tapait du bout de sa canne, sur le divan bas, lit d’amour autant que lit de repos.

— Hein ? elle est joliment meublée. Oh ! une fille qui sait son affaire !

Le baron entrait, encore bouleversé, l’air inquiet. Et, sans même apercevoir le prêtre, il voulut savoir.

— Qu’ont-ils fait, là-bas ? les nouvelles sont donc graves ?

— Mège a interpellé, en demandant l’urgence, pour renverser Barroux. Vous voyez d’ici son discours.

— Oui, oui ! contre les bourgeois, contre moi, contre vous. C’est toujours le même… Et alors ?

— Alors, ma foi, l’urgence n’a pas été votée, mais Barroux, malgré une très belle défense, n’a eu qu’une majorité de deux voix.

— Deux voix, fichtre ! il est par terre, c’est un ministère Vignon pour la semaine prochaine.

— Tout le monde le disait dans les couloirs.

Le baron, les sourcils froncés, comme s’il eût pesé ce qu’un tel événement pouvait apporter au monde de bon ou de mauvais, eut un geste mécontent.