Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

devait rêver de le reconquérir à Dieu, lorsqu’il passait près de la maison qu’il occupait avec ses trois grands fils, bourdonnante de travail.

— Mais, mon cher enfant, reprit-il, je vous tiens là, dans ce froid noir, et vous n’avez pas chaud… Allez dire votre messe. À ce soir, à la Madeleine.

Puis, suppliant, s’assurant de nouveau que personne ne les écoutait, il ajouta de son air d’enfant toujours en faute :

—  Et pas un mot à personne de ma petite commission. On dirait encore que je ne sais pas me conduire.

Pierre le regarda s’éloigner dans la direction de la rue Cortot, où le vieux prêtre habitait un rez-de-chaussée humide, qu’un bout de jardin égayait. La cendre de désastre qui noyait Paris semblait s’épaissir, sous les rafales de la bise glacée. Et il entra enfin dans la basilique, le cœur ravagé, débordant de l’amertume que venait d’y remuer cette histoire, cette banqueroute de la charité, l’ironie affreuse du saint homme puni pour avoir donné, se cachant pour donner toujours. Rien ne calma la cuisson de la blessure rouverte en lui, ni la paix tiède dans laquelle il pénétrait, ni la solennité muette du large et profond vaisseau, d’une nudité de pierres neuves, sans tableaux, sans décoration d’aucune sorte, la nef à demi barrée par la charpente qui bouchait la coupole du dôme, encore en construction. À cette heure matinale, sous la lumière grise que laissaient tomber les hautes et minces baies, des messes de supplication étaient déjà dites à plusieurs autels, des cierges d’imploration brûlaient au fond de l’abside. Et il se hâta d’aller, à la sacristie, revêtir les vêtements sacrés, pour dire sa messe à la chapelle de Saint-Vincent-de-Paul.

Mais les souvenirs venaient d’être lâchés, Pierre n’était plus qu’à sa détresse, tandis que, machinalement, il accomplissait les rites, faisait les gestes professionnels.