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de l’anxieuse séance de la Chambre. En l’apercevant si gai, si triomphant, il eut une inspiration brusque, il se dit qu’il devrait conquérir, mettre avec lui ce garçon, dont le rapport avait eu un effet si désastreux. Justement, la voiture ayant dû s’arrêter tout à fait, le député venait de le reconnaître et lui souriait.

— Où allez-vous donc, monsieur Dutheil ?

— Mais à côté, aux Champs-Élysées.

— Je passe par là, et comme je désire vous entretenir un instant, vous seriez bien aimable de prendre place près de moi. Je vous poserai où vous voudrez.

— Très volontiers, monsieur l’abbé. Ça ne vous gêne pas que j’achève mon cigare ?

— Oh ! pas du tout.

Le fiacre se dégagea, traversa la place, pour monter les Champs-Élysées. Et Pierre, songeant qu’il avait quelques minutes à peine, entreprit Dutheil sans tarder, prêt à lutter pour le convaincre. Il se souvenait de la sortie que le jeune homme avait faite contre Laveuve, chez le baron. Aussi fut-il étonné de l’entendre l’interrompre, pour dire gentiment, la mine ragaillardie par le clair soleil qui se remettait à luire :

— Ah ! oui, votre vieil ivrogne ! Alors, vous n’avez donc pas arrangé son affaire, avec Fonsègue ? Et qu’est-ce que vous voulez ? qu’on le fasse entrer là-bas aujourd’hui ?… Moi, vous savez, je ne m’y oppose pas.

— Mais il y a votre rapport.

— Mon rapport, oh ! mon rapport, les questions changent selon les points de vue… Et, si vous y tenez, à votre Laveuve, je ne refuse pas de vous aider, moi !

Pierre le regardait, saisi, très heureux au fond. Il n’eut plus même besoin de parler.

— Vous avez mal pris l’affaire, continua Dutheil en se penchant, d’un air de confidence. Chez lui, c’est le baron qui est le maître, pour des raisons que vous sentez, que