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conta qu’il venait de déjeuner chez les Duvillard, nomma les convives, dit que Gérard était là. Il savait qu’il faisait plaisir à sa sœur, en allant dans cette maison, dont il lui rapportait des nouvelles, qu’il décrassait un peu par le grand honneur de sa présence. Et lui ne s’y ennuyait pas, gagné au siècle depuis longtemps, très accommodant sur tout ce qui n’était pas l’art militaire.

— Cette pauvre petite Camille adore Gérard, dit-il. À table, elle le dévorait des yeux.

Le marquis de Morigny intervint gravement.

— Là est le danger, un mariage serait une chose absolument monstrueuse, à tous les points de vue.

Le général parut s’étonner.

— Pourquoi donc ? Elle n’est pas belle, mais si l’on n’épousait que les belles filles ! Et il y a aussi ses millions : notre cher enfant en serait quitte pour en faire un bon usage… Et puis, c’est vrai, il y a encore la liaison avec la mère. Mon Dieu ! l’aventure est si commune aujourd’hui !

Révolté, le marquis eut un geste de souverain dégoût. Pourquoi discuter, quand tout sombrait ? Que répondre à un Bozonnet, au dernier vivant de cette illustre famille, lorsqu’il en arrivait à excuser les mœurs infâmes de la république, après avoir renié son roi et servi l’empire, en s’attachant d’une passion fidèle à la fortune, à la mémoire de César ? Mais la comtesse elle-même s’indignait.

— Oh ! mon frère, que dites-vous ? Jamais je n’autoriserai un tel scandale. J’en faisais tout à l’heure le serment.

— Ma sœur, ne jurez pas ! s’écria le général. Moi, je voudrais notre Gérard heureux, voilà tout. Et il faut bien convenir qu’il n’est pas bon à grand’chose. Qu’il ne se soit pas fait soldat, je le comprends, car c’est un métier aujourd’hui perdu. Mais qu’il ne soit pas entré dans la diplomatie, qu’il n’ait pas accepté une occupation quel-