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diplomatie. Que de fois elle avait réparé des sottises, payé des petites dettes, en les taisant, en refusant l’aide pécuniaire du marquis, qui n’osait même plus offrir ses millions, tant elle s’entêtait à vivre héroïquement des débris de sa fortune ! Et c’était ainsi qu’elle avait fini par fermer les yeux sur le scandale des amours de son fils, se doutant bien comment les choses s’étaient passées, par abandon, par inconscience, l’homme qui ne sait se reprendre, la femme qui le tient et le garde, en se donnant. Le marquis, lui, n’avait pardonné que le jour où Ève s’était faite chrétienne.

— Vous savez, mon ami, que Gérard est si bon, reprit la comtesse. C’est ce qui fait sa force et sa faiblesse. Comment voulez-vous que je le gronde, quand il pleure avec moi ?… Il se lassera de cette femme.

M. de Morigny hocha la tête.

— Elle est encore très belle… Et puis, il y a la fille. Ce serait plus grave, il l’épouserait.

— Oh ! la fille, une infirme !

— Oui, et vous entendez ce qu’on dirait : un Quinsac épousant un monstre pour ses millions.

C’était leur terreur à tous deux. Ils n’ignoraient rien de ce qui se passait chez les Duvillard, l’amitié émue entre la disgraciée Camille et le beau Gérard, l’idylle attendrissante sous laquelle se cachait le plus atroce des drames. Et ils protestaient de toute leur indignation.

— Oh ! ça, non, non, jamais ! déclara la comtesse. Mon fils dans cette famille, non ! jamais je ne donnerai mon autorisation !

Justement le général de Bozonnet entra. Il adorait sa sœur, il venait lui tenir compagnie, les jours où elle recevait, car l’ancien cercle s’était peu à peu éclairci, ils n’étaient plus que quelques fidèles à se risquer dans ce salon gris et morne, où l’on se serait cru à des milliers de lieues du Paris actuel. Tout de suite, pour l’égayer, il