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compte de votre visite, ce soir, vers cinq heures, à la Madeleine, où j’irai entendre la conférence de monseigneur Martha. Il a été si bon pour moi !… N’y viendrez-vous pas l’entendre vous-même ?

Pierre répondit d’un geste évasif. Monseigneur Martha, évêque de Persépolis, très puissant à l’archevêché, depuis qu’il s’était employé à décupler les souscriptions pour le Sacré-Cœur, en propagandiste vraiment génial, avait en effet soutenu l’abbé Rose ; et c’était lui qui avait obtenu qu’on le laissât à Paris, en le replaçant à Saint-Pierre de Montmartre.

— Je ne sais si je pourrai assister à la conférence, dit Pierre. En tout cas, j’irai sûrement vous y retrouver.

La bise soufflait, un froid noir les pénétrait tous deux, sur ce sommet désert, dans le brouillard qui changeait la grande ville en un océan de brume. Mais un pas se fit entendre, et l’abbé Rose, repris de méfiance, vit un homme passer, très grand, très fort, chaussé en voisin de galoches, et la tête nue, d’épais cheveux blancs, coupés ras.

— N’est-ce point votre frère ? demanda le vieux prêtre.

Pierre n’avait pas eu un mouvement. Il répondit d’une voix tranquille :

— C’est mon frère Guillaume, en effet. Je l’ai retrouvé, depuis que je viens parfois ici, au Sacré-Cœur. Il possède là, tout près, une maison qu’il habite depuis plus de vingt ans, je crois. Quand je le rencontre, nous nous serrons la main. Mais je ne suis pas même allé chez lui… Ah ! tout est bien mort entre nous, rien ne nous est plus commun, des mondes nous séparent.

Le sourire si tendre de l’abbé Rose reparut, et il eut un geste de la main, comme pour dire qu’il ne fallait jamais désespérer de l’amour. Guillaume Froment, un savant d’intelligence haute, un chimiste qui vivait à l’écart, en révolté, était maintenant son paroissien ; et il