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user celui-ci, user celui-là, puis cet autre, pour régner enfin ! Toujours dans six mois, au plus tard… Le malheur est que, sans cesse, il en pousse d’autres, et que son tour ne vient jamais.

Le petit Massot s’égayait librement. Puis, il baissa un peu la voix.

— Et, Sanier, le connaissez-vous ? Non… Voyez-vous cet homme roux, à cou de taureau, qui a l’air d’un boucher… Là-bas, celui qui cause dans un petit groupe de redingotes râpées.

Pierre l’aperçut enfin. Il avait de larges oreilles écartées, une bouche lippue, un nez fort, de gros yeux ternes, à fleur de tête.

— Celui-là aussi, je puis dire que je le possède à fond. J’ai été avec lui, à la Voix du Peuple, avant d’être au Globe, avec Fonsègue… Ce que personne ne sait au juste, c’est d’où il sort. Longtemps il a traîné dans les bas-fonds de la presse, journaliste sans éclat, enragé d’ambition et d’appétits. Vous vous rappelez peut-être son premier coup de tintamarre, cette affaire assez malpropre d’un nouveau Louis XVII, qu’il essaya de lancer et qui fit de lui l’extraordinaire royaliste qu’il est resté. Puis, il s’avisa d’épouser la cause du peuple, il afficha un socialisme catholique vengeur, dressant le procès de la libre pensée et de la république, dénonçant les abominations de l’époque, au nom de la justice et de la morale, pour les guérir. Il avait débuté par des portraits de financiers, un ramassis d’ignobles commérages, sans contrôle, sans preuves, qui auraient dû le conduire en police correctionnelle, et qui, réunis en volume, ont eu l’étourdissant succès que vous savez. Et il a continué et il continue dans la Voix du Peuple, qu’il a lancée, au moment du Panama, à coups de délations et de scandales, et qui est aujourd’hui la bouche d’égout vomissant les ordures contemporaines, en inventant dès que le flot se tarit, pour l’unique besoin