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misère, des ferments épars de colère et de vengeance. Mais quel aveuglement de croire que la destruction, que l’assassinat puisse être un acte fécond, ensemençant le sol d’une heureuse et large récolte ! On arrive tout de suite au bout de la violence, et elle n’est bonne qu’à exaspérer le sentiment de solidarité, même chez ceux pour qui l’on tue. Le peuple, la grande foule se révolte contre l’isolé qui croit faire justice. Le volcan, oui ! mais le volcan, c’est toute la croûte terrestre, c’est toute la masse populaire qui se soulève, sous l’irrésistible poussée de la flamme intérieure, pour dresser des alpes, pour refaire une société libre. Et quels que soient l’héroïsme de leur folie, leur soif contagieuse du martyre, les assassins ne sont jamais que des assassins, dont l’action est une semence d’horreur. S’ils renaissaient de leur sang, si Victor Mathis avait vengé Salvat, il l’avait tué aussi, dans l’universel cri de réprobation, soulevé par son nouvel attentat, plus monstrueux et plus inutile encore.

D’un geste, Guillaume, riant à son tour, dit son absolue guérison.

— Tout finit bien, vous avez raison, puisque tout va quand même à la vérité et à la justice. Seulement, il faut parfois des mille ans… Quant à moi, je vais simplement mettre l’explosif nouveau dans le commerce, pour que ceux qui en obtiendront l’autorisation, s’enrichissent en le fabriquant. Il est désormais à tous… Et je renonce à révolutionner le monde.

Bertheroy se récria. Et ce grand savant officiel, ce membre de l’Institut, renté, pourvu de toutes les charges et de tous les honneurs, montra le petit moteur avec une passion, où se retrouvait la vigueur de ses soixante-dix ans.

— Mais c’est ça qui est la révolution, la vraie, l’unique ! c’est avec ça, et non avec les bombes stupides, qu’on révolutionne le monde ! ce n’est pas en détruisant, c’est