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attendrissement, à voir ce petit être si rose et si goulu, sur cette gorge de femme, si belle, gonflée de lait. Toute une bonne odeur de fécondité heureuse en montait à son visage, qui le grisait de la joie de vivre.

— Mais il va te manger, dit-il gaiement. Comme il tire !

— Oh ! il me mord bien un peu. Mais c’est plus gentil, ça prouve qu’il profite.

Alors, Mère-Grand, la sérieuse, la silencieuse, se mit à causer, le visage éclairé d’un sourire.

— Vous savez que je l’ai pesé, ce matin. Il a encore gagné cent grammes. Et le cher amour, si vous aviez vu comme il était sage ! Ce sera un petit monsieur très intelligent, très raisonnable, ainsi que je les aime. Quand il aura cinq ans, ce sera moi qui lui apprendrai ses lettres, et à quinze ans, s’il veut, je lui dirai comment on devient un homme… N’est-ce pas, Thomas ? N’est-ce pas, Antoine, et toi, François ?

Les trois grands fils, levant la tête, égayés, approuvèrent du geste, reconnaissants des leçons héroïques qu’elle leur avait données, ne semblant pas mettre en doute qu’elle vécût vingt ans encore, pour les donner à Jean comme à eux-mêmes.

Pierre était resté devant Marie, dans le ravissement de leur amour, lorsqu’il sentit, derrière lui, Guillaume lui poser les deux mains sur les épaules. Il se retourna, il le trouva rayonnant lui aussi, bien heureux de les voir si heureux. Et cela doubla son bonheur, cette certitude que son frère était guéri, qu’il n’y avait plus, dans la maison laborieuse, que de la santé et de l’espoir.

— Ah ! petit frère, dit Guillaume doucement, te souviens-tu, quand je te disais que tu souffrais uniquement du combat de ton cœur contre ta raison, et que tu retrouverais la tranquillité, lorsque tu aimerais ce que tu comprendrais ? Il te fallait réconcilier en toi notre mère et