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losophes, Darwin, Fourier et les autres, ont semé la religion de demain, en confiant au vent qui passe la bonne parole, que de siècles il faudra sans doute pour que la moisson lève ! On oublie toujours que le catholicisme a mis quatre siècles à se former, à germer en un long travail souterrain, avant de croître, de régner au plein soleil. Qu’on donne donc des siècles à cette religion de la science, dont la sourde poussée s’annonce de toutes parts, et l’on verra se constituer en un nouvel Évangile les admirables idées d’un Fourier, le désir redevenu le levier qui soulève le monde, le travail accepté par tous, honoré, réglé comme le mécanisme même de la vie naturelle et sociale, les énergies passionnelles de l’homme excitées, contentées, utilisées enfin pour le bonheur humain ! L’universel cri de justice, dont la clameur de plus en plus haute monte du grand muet, du peuple si longtemps dupé et dévoré, n’est qu’un cri vers ce bonheur où tendent les êtres, la satisfaction complète des besoins, la vie vécue pour elle, dans la paix, dans l’expansion de toutes les forces et de toutes les joies. Les temps viendront où ce royaume de Dieu sera sur la terre, et que l’autre paradis menteur soit donc fermé, même si les pauvres d’esprit doivent un moment souffrir de cette mort de leur illusion, car c’est là une nécessité brave que d’opérer cruellement les aveugles, pour les arracher à leur misère, à la longue nuit affreuse de leur ignorance !

Pierre, tout d’un coup, fut inondé d’une joie immense. Un petit cri d’enfant, le cri d’éveil de Jean, son fils, venait de le tirer de sa rêverie, et la brusque pensée l’avait envahi que, lui, à cette heure, était sauvé, hors du mensonge et de l’effroi, rentré dans la bonne et saine nature. Quel frisson à se dire qu’il s’était cru perdu, rayé de la vie, tombé au néant du Dieu bourreau, et qu’un prodige d’amour l’en avait tiré, puissant encore, malgré sa crainte du stigmate indélébile, puisque ce cher enfant était là, si