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vapeur. On devinait à peine la ligne ronde de l’horizon, le champ sans bornes des maisons apparaissait tel qu’un chaos de pierres, semé de mares stagnantes, qui emplissaient les creux d’une buée pâle, et sur lesquelles se détachaient les crêtes des édifices et des rues hautes, d’un noir de suie. Un Paris de mystère, voilé de nuées, comme enseveli sous la cendre de quelque désastre, disparu à demi déjà dans la souffrance et dans la honte de ce que son immensité cachait.

Pierre regardait, maigre et sombre, vêtu de sa soutane mince, lorsque l’abbé Rose, qui semblait s’être abrité derrière un pilier du porche, pour le guetter, vint à sa rencontre.

— Ah ! c’est vous enfin, mon cher enfant. J’ai quelque chose à vous demander.

Il semblait gêné, inquiet. D’un regard méfiant, il s’assura que personne n’était là. Puis, comme si la solitude ne suffisait pas à le rassurer, il l’emmena à quelque distance, dans la bise glaciale qui soufflait, et qu’il paraissait ne pas sentir.

— Voici, c’est un pauvre homme dont on m’a parlé, un ancien ouvrier peintre, un vieillard de soixante-dix ans, qui naturellement ne peut plus travailler, et qui est en train de mourir de faim, dans un taudis de la rue des Saules… Alors, mon cher enfant, j’ai songé à vous, j’ai pensé que vous consentiriez à lui porter ces trois francs de ma part, pour qu’il ait au moins du pain pendant quelques jours.

— Mais pourquoi n’allez-vous pas lui faire votre aumône vous-même ?

De nouveau, l’abbé Rose s’inquiéta, s’effara, avec des regards peureux et confus.

— Oh ! non, oh ! non, je ne peux plus, moi, après tous les ennuis qui me sont arrivés. Vous savez qu’on me surveille et qu’on me gronderait encore, si l’on me surprenait