Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêverie. Ils parlaient de Janzen, compromis dans un deuxième attentat, à Barcelone, disparu, revenu à Paris sans doute, où Bache croyait l’avoir reconnu la veille. Une si claire intelligence, une si froide volonté, et de tels dons gaspillés pour une si exécrable cause !

— Quand je songe, dit Morin de sa voix lente, que Barthès exilé vit au fond d’une petite chambre pauvre de Bruxelles, dans le frémissant espoir que la liberté enfin régnera, lui qui n’a pas une goutte de sang aux mains et qui a passé les deux tiers de sa vie en prison, pour que les peuples soient libres !

Bache eut un léger haussement d’épaules.

— La liberté, la liberté, sans doute. Mais elle n’est rien, si on ne l’organise pas.

Et leur éternelle discussion recommença, celui-ci avec Saint-Simon et Fourier, l’autre avec Proudhon et Auguste Comte. Toute la religiosité vague de l’ancien membre de la Commune, aujourd’hui conseiller municipal, reparaissait, dans son besoin d’une foi consolante ; tandis que le professeur, l’ancien garibaldien, gardait, sous sa lassitude, une rigidité scientifique, une croyance au progrès mathématique du monde.

Longuement, Bache raconta la dernière commémoration en l’honneur de la mémoire de Fourier, le groupe des disciples fidèles apportant des couronnes, prononçant des discours, une réunion touchante d’apôtres, obstinés dans leur foi, certains de l’avenir, messagers convaincus de la bonne parole nouvelle. Puis, Morin vida ses poches toujours pleines de petites brochures de propagande positiviste, des manifestes, des réponses, des questions posées et résolues, où le nom de Comte et surtout sa doctrine étaient exaltés, comme la seule base possible de la religion attendue. Alors, Pierre, qui les écoutait, se rappela leurs disputes d’autrefois, dans sa maison de Neuilly, lorsque lui-même, éperdu, en quête