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n’avait pu en réaliser que les insignifiantes, les mains liées sans doute, au milieu de mille obstacles. Il s’était résigné à gouverner comme les autres, et l’on avait fait cette découverte qu’entre Vignon et Monferrand il n’existait guère, en somme, que des nuances.

— Vous savez qu’on reparle de Monferrand, dit Guillaume.

— Oui, il a des chances. Ses créatures s’agitent beaucoup.

Puis, Bache, qui plaisantait Mège avec amertume, déclara que le député collectiviste faisait, à renverser les ministères, un métier de dupe, servant à tour de rôle les ambitions de chaque coterie, sans la moindre chance de jamais décrocher pour lui-même le pouvoir. Et ce fut Guillaume qui conclut.

— Bah ! qu’ils se dévorent ! ils ne se battent guère que sur des questions de personnes, dans l’âpre ambition de régner, de disposer de l’argent et de la puissance. Mais ça n’empêche pas l’évolution de se faire, les idées de s’épandre et les événements de s’accomplir. Il y a, par-dessus, l’humanité qui marche.

Pierre fut très frappé de ces paroles, et il retomba dans ses souvenirs. L’angoissante expérience commençait, il était lancé au travers de Paris immense. Paris, c’était la cuve énorme, où toute une humanité bouillait, la meilleure et la pire, l’effroyable mixture des sorcières, des poudres précieuses mêlées à des excréments, d’où devait sortir le philtre d’amour et d’éternelle jeunesse. Et, dans cette cuve, il rencontrait d’abord l’écume du monde politique Monferrand qui étranglait Barroux, achetant les affamés, Fonsègue, Dutheil, Chaigneux, utilisant les médiocres, Taboureau et Dauvergne, employant jusqu’à la passion sectaire de Mège et jusqu’à l’ambition intelligente de Vignon. Puis, venait l’argent empoisonneur, cette affaire des Chemins de fer africains