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par s’intéresser à ce rêveur autoritaire, résolu à faire le bonheur des hommes malgré eux. Il le savait pauvre, cachant sa vie, vivant avec une femme et quatre enfants qu’il adorait.

— Vous pensez bien que je ne suis pas avec Sanier, reprit-il. Mais, enfin, puisqu’il a parlé ce matin, en menaçant de publier la liste des noms de tous ceux qui ont touché, nous ne pouvons cependant pas avoir l’air d’être complices davantage. Voici longtemps déjà qu’on se doute des sales tripotages dont cette affaire louche des Chemins de fer africains a été l’occasion. Et le pis est que deux membres du cabinet actuel se trouvent visés ; car, il y a trois ans, lorsque les Chambres s’occupèrent de l’émission Duvillard, Barroux était à l’Intérieur et Monferrand aux Travaux publics. Maintenant que les voilà revenus, celui-ci à l’Intérieur, l’autre aux Finances, avec la présidence du Conseil, est-il possible de ne pas les forcer à nous renseigner sur leurs agissements de jadis, dans leur intérêt même ?… Non, non ! ils ne peuvent plus se taire, j’ai annoncé que j’allais les interpeller aujourd’hui même.

C’était cette annonce d’une interpellation de Mège qui bouleversait ainsi les couloirs, à la suite du terrible article de la Voix du Peuple. Et Pierre restait un peu effaré de toute cette histoire tombant dans sa préoccupation unique de sauver un misérable de la faim et de la mort. Aussi écoutait-il sans bien comprendre les explications passionnées du député socialiste, tandis que la rumeur grandissait et que des rires disaient l’étonnement de voir ce dernier en conversation avec un prêtre.

— Sont-ils bêtes ! murmura-t-il, plein de dédain. Est-ce qu’ils croient que je mange une soutane, chaque matin, à mon déjeuner ?… Je vous demande pardon, mon cher monsieur Froment. Tenez ! asseyez-vous sur cette banquette, pour attendre Fonsègue.