Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/584

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnons l’attendaient. Il y avait là-bas beaucoup de besogne. Tranquillement, il s’était assis, et il causait de son air froid, lorsque, du même ton de sérénité, il ajouta, sans transition :

— Vous savez qu’on vient de jeter une bombe dans le café de l’Univers, sur le boulevard. Il y a eu trois bourgeois de tués.

Frémissants, Guillaume et Pierre voulurent des détails. Alors, il conta qu’il était par là justement, qu’il avait entendu l’explosion et vu les vitres du café voler en éclats. Trois des consommateurs étaient par terre, le corps broyé, deux qu’on ne connaissait pas, deux messieurs entrés là par hasard, l’autre un habitué, un petit rentier du voisinage qui venait faire sa partie tous les jours. Dans la salle, un vrai saccage, les tables de marbre brisées, les lustres tordus, les glaces criblées de balles. Et quelle terreur, quel emportement, quel écrasement de foule ! On avait d’ailleurs arrêté tout de suite l’auteur de l’attentat, comme il allait tourner le coin de la rue de Caumartin, pour fuir.

— J’ai pensé à monter vous conter ça, conclut Janzen. Il est bon que vous sachiez.

Et, comme Pierre, dans son frisson, sourdement averti, lui demandait qui était l’homme arrêté, il ajouta sans hâte :

— Justement, là est l’ennui, vous le connaissez… C’est le petit Victor Mathis.

Trop tard, Pierre voulut lui rentrer ce nom dans la gorge. Il se rappelait soudainement que la mère, tout à l’heure, était assise derrière eux, en un coin sombre. S’y trouvait-elle encore ? Et il revoyait le petit Victor, presque sans barbe, le front droit et têtu, les yeux gris luisant d’implacable intelligence, le nez aigu et les lèvres minces disant la volonté sèche, la haine sans pardon. Celui-ci n’était pas un simple, un déshérité. C’était un fils de la