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François et Antoine avaient quitté leur chaise, s’étaient précipités à leur tour.

— Êtes-vous souffrante ? Qu’est-ce donc qui vous fait pâlir, vous si brave ?

Mais elle ne répondait pas. Ah ! que la force de l’explosif fendît le sol, gagnât la petite maison et l’emportât, dans le cratère embrasé du volcan ! Mourir tous avec le père, les trois grands fils et elle-même, c’était son vœu ardent, pour qu’il n’y eût pas de larmes. Et elle attendait, elle attendait, avec son frisson invincible, avec ses yeux clairs et braves, fixés là-bas.

— Mère-Grand, Mère-Grand ! dit Marie éperdue, vous nous épouvantez, à ne pas nous répondre, à regarder au loin, comme si quelque malheur arrivait au galop !

Et, soudainement, Thomas, François et Antoine eurent le même cri, dans la même angoisse de leur cœur.

— Le père est en péril, le père va mourir !

Que savaient-ils ? Rien de précis. Thomas s’était bien étonné de la quantité d’explosif que son père fabriquait, et ni François ni Antoine n’ignoraient les idées de révolte, de brûlant amour qui hantaient son cerveau de savant. Mais, dans leur déférence, ils voulaient ne connaître de lui que ce qu’il leur en confiait, ne le questionnant jamais, s’inclinant devant tous ses actes. Et voilà qu’une prescience leur venait, la certitude que le père allait mourir, quelque catastrophe effroyable, dont l’air, autour d’eux, était si frissonnant depuis le matin, qu’ils en grelottaient de fièvre, malades et incapables de travail.

— Le père va mourir, le père va mourir !

Côte à côte, les trois colosses s’étaient serrés étroitement, bouleversés de la même angoisse, soulevés par le même besoin furieux d’apprendre le danger, d’y courir, de mourir avec le père, s’ils ne pouvaient l’en sauver. Et, dans le silence obstiné de Mère-Grand, la mort de nouveau