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souterrain, que leurs grandes ombres dansantes emplissaient d’apparitions farouches. La nuit épaisse les prenait, la pâle mèche n’était plus qu’une petite larme jaune, au milieu des ténèbres. Et ce fut alors, à cette profondeur, que le silence de la terre, qui pesait si lourdement sur eux, frissonna, s’ébranla peu à peu d’ondes sonores, lointaines, comme si la mort sonnait quelque part sa cloche invisible.

— Tu entends, bégaya Guillaume, c’est leur cloche, là-haut. L’heure est venue, je me suis fait le serment d’agir, et tu m’empêcheras !

— Oui, je t’empêcherai, tant que je serai là, vivant !

— Tant que tu seras vivant, tu m’empêcheras !

Là-haut, il entendait la Savoyarde, sonnant d’allégresse, à la volée ; il voyait la basilique triomphale, débordante des dix mille pèlerins, flamboyante de l’éclat du Saint-Sacrement, parmi la fumée des encensoirs ; et c’était en lui une frénésie, une tempête aveugle de ne pouvoir agir, devant le brusque obstacle qui barrait le chemin à son idée fixe.

— Tant que tu seras vivant, tant que tu seras vivant ! répéta-t-il hors de lui. Eh bien ! meurs donc, misérable frère !

Dans ses yeux troubles, l’éclair fratricide avait lui. Il se baissa vivement, ramassa une brique oubliée, la leva en l’air de ses deux poings, comme une massue.

— Ah ! je veux bien, dit Pierre, ah ! tue-moi donc, tue ton frère d’abord, avant de tuer les autres !

Déjà, la brique s’abattait. Mais les deux poings durent dévier, elle ne lui effleura qu’une épaule ; et il tomba dans l’ombre, sur les genoux.

Hagard, Guillaume, en le voyant par terre, crut l’avoir assommé. Que venait-il donc de se passer entre eux ? qu’avait-il fait ? Il resta un moment debout, la bouche béante, les yeux dilatés de terreur. Il regarda ses mains,