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était un état et une passion. Mais, du moment que tout le monde doit se battre, personne ne le veut plus. Toutes les nations en armes, c’est la fin prochaine des armées, par la force logique des choses. Combien de temps resteront-elles encore sur ce pied de paix mortelle, écrasées de budgets croissants, dépensant les milliards à se tenir en respect ? Et quelle délivrance, quel cri de soulagement, le jour où l’apparition d’un engin formidable, anéantissant d’un coup les armées, balayant les villes, rendrait la guerre impossible, forcerait les peuples au désarmement général ! La guerre serait tuée, morte à son tour, elle qui a tant fait mourir. C’était son rêve, il s’exaltait à la certitude de le réaliser tout à l’heure.

— Tout est réglé. Si je meurs, si je disparais, c’est pour que l’idée triomphe… Dans ces derniers jours, tu m’as vu m’enfermer avec Mére-Grand, pendant des après-midi entiers. Nous achevions de classer les documents et de nous entendre. Elle a mes ordres, elle les exécutera, quitte à donner sa vie, elle aussi, car il n’est pas d’âme plus haute ni plus brave… Dès que je vais être mort, enseveli sous ces pierres, dès qu’elle aura entendu l’explosion ébranler Paris et marquer l’ère nouvelle, elle fera parvenir à chaque grande puissance la formule de l’explosif, les dessins de la bombe et du canon spécial, des dossiers complets qu’elle a entre les mains. Et c’est ainsi que je fais à tous les peuples le cadeau terrible de destruction, de toute-puissance, que je voulais faire d’abord à la France seule, pour que tous les peuples, également armés de la foudre, désarment, dans la terreur et l’inutilité de s’anéantir.

Béant, Pierre l’écoutait, comme si quelque engrenage le meurtrissait, le broyait sous cette conception formidable, où l’enfantillage le disputait au génie.

— Si tu donnes ton secret à tous les peuples, pourquoi faire sauter cette église, pourquoi mourir ?