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sauver par le devoir. Il ne t’est pas permis de t’en aller de la sorte.

Et, fiévreusement, il tâcha de réveiller en lui l’orgueil du savant. Il parla du secret dont il avait reçu la confidence, de cet engin de guerre, capable de détruire des armées, de réduire les villes en poudre, dont il voulait faire cadeau à la France, pour que, victorieuse dans la prochaine guerre, elle pût être ensuite la libératrice du monde. Et c’était ce dessein, d’une extraordinaire grandeur, qu’il avait abandonné, pour employer son terrible explosif à tuer des innocents, à renverser une église, qu’on relèverait à coups de millions, et dont on ferait un sanctuaire de martyrs !

Guillaume souriait.

— Je n’ai pas abandonné mon dessein, je l’ai transformé, simplement… Ne t’avais-je pas dit mes doutes, mon débat anxieux ? Ah ! croire qu’on tient dans ses mains le destin du monde, et trembler, et hésiter, en se demandant si l’on est certain d’avoir l’intelligence, la sagesse de la bonne décision ! J’ai frémi, devant les tares de notre grand Paris, toutes ces fautes récentes, auxquelles nous venons d’assister ; je me suis demandé s’il était assez calme, assez pur, pour qu’on osât lui confier la toute-puissance ; et quel désastre, si une invention comme la mienne tombait entre les mains d’un peuple fou, d’un dictateur peut-être, d’un homme de conquête qui l’emploierait à terroriser les nations, sous un commun esclavage… Non, non, je ne veux pas perpétuer la guerre, je veux la tuer.

Il expliqua son nouveau projet de sa voix nette, et Pierre eut la surprise de retrouver là les idées que lui avait déjà exposées le général de Bozonnet, dans un sens tout contraire. La guerre allait à sa perte, menacée par ses excès mêmes. Avec les mercenaires autrefois, avec les conscrits ensuite, le petit nombre désigné par le sort, elle