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faim ; et il y avait encore la Cour d’assises, les juges, les gendarmes, les témoins, la France entière, tous contre un, lui faisant payer le crime universel ; et c’était enfin la guillotine, la monstrueuse, l’immonde, consommant l’irréparable injustice, au nom de la justice humaine. Une idée seule restait en lui, cette idée de justice qui l’affolait, jusqu’à tout abolir dans son cerveau de penseur, à ne laisser que le flamboiement de l’acte juste, par lequel il allait réparer le mal, assurer l’éternel bien. Salvat l’avait regardé, et la contagion avait agi, il ne brûlait plus que de la folie de mourir, de donner son sang, de faire couler à flots le sang des autres, pour que, dans l’horreur et dans l’épouvante, l’humanité décrétât l’âge d’or.

Pierre comprit l’aveuglement têtu d’une pareille démence ; et il était bouleversé, à la pensée qu’il ne le vaincrait pas.

— Frère, tu es fou ! frère, ils t’ont rendu fou ! C’est un vent de violence qui souffle, on a été d’abord d’une maladresse trop impitoyable avec eux, et maintenant voilà qu’ils se vengent les uns les autres, il n’y a pas de raison pour que le sang cesse de couler… Frère, entends-moi, sors de ce cauchemar. Il n’est pas possible que tu sois un Salvat qui tue, un Bergaz qui vole. Rappelle-toi l’hôtel de Harth qu’ils ont dévalisé, la pauvre enfant, si blonde, si jolie, que nous avons vue, le ventre ouvert, là-bas… Tu n’en es pas, tu ne peux pas en être, frère, par grâce, par pitié !

D’un geste, Guillaume écartait ces vaines raisons. De la mort où il croyait déjà être, qu’importaient quelques existences, qui retourneraient, avec la sienne, dans l’éternel torrent de la vie ? Pas une phase du monde ne s’était produite, sans que des milliards d’êtres fussent broyés.

— Mais tu avais un grand dessein, cria Pierre pour le