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son éternelle couture, tandis que Marie, assise près d’elle, brodait. Les trois fils étaient de leur côté chacun à sa besogne, levant parfois la tête, échangeant un mot. Et, jusqu’à deux heures et demie, Guillaume parut s’occuper aussi, d’un air très attentif. Pierre seul, les membres brisés, le cœur éperdu, allait et venait, les voyait tous comme du fond d’un cauchemar, bouleversé par les mots les plus innocents, qui prenaient pour lui des sens terribles. Pendant le déjeuner, il avait dû se dire un peu souffrant, afin d’expliquer l’affreux malaise où le jetait cette table rieuse ; et, maintenant, il attendait, regardait, écoutait, dans une anxiété croissante.

Un peu avant trois heures, Guillaume, après avoir consulté sa montre, prit tranquillement son chapeau.

— Eh bien ! je sors.

Les trois fils, Mère-Grand et Marie avaient levé la tête.

— Je sors… Au revoir.

Pourtant, il ne partait pas. Pierre le sentit qui luttait, qui se raidissait, secoué d’une effroyable tempête intérieure, mettant tout son effort à ne montrer ni frisson ni pâleur. Ah ! qu’il devait souffrir, de ne pouvoir les embrasser une dernière fois, ses trois grands fils, s’il ne voulait pas éveiller en eux quelque soupçon, qui les mettrait en travers de sa mort ! Et il se vainquit, dans un héroïsme suprême.

— Au revoir, les enfants.

— Au revoir, Père… Tu rentreras de bonne heure ?

— Oui, oui… Ne vous inquiétez pas de moi, travaillez bien.

Mère-Grand ne le quittait pas de ses yeux fixes, dans son souverain silence. Mais elle, il l’avait embrassée. Et il la regarda, leurs regards un instant se confondirent, tout ce qu’il avait voulu, tout ce qu’elle avait promis, leur rêve commun de vérité et de justice.

— Dites, Guillaume, cria gaiement Marie, si vous des-