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IV


Ce jour-là, une grande cérémonie devait avoir lieu à la basilique du Sacré-Cœur. Dix mille pèlerins assisteraient à une bénédiction solennelle du Saint-Sacrement. Et, en attendant quatre heures, l’heure fixée, Montmartre allait être envahi, les pentes noires de monde, les boutiques d’objets religieux assiégées, les buvettes débordantes, toute une fête foraine ; tandis que la grosse cloche, la Savoyarde, sonnerait à la volée, au-dessus de ce peuple en liesse.

Comme Pierre, le matin, entrait dans le grand atelier, il vit que Guillaume et Mère-Grand s’y trouvaient seuls ; et un mot qu’il entendit l’arrêta, le fit écouter, sans scrupule, caché derrière une haute bibliothèque tournante. Mère-Grand, assise à sa place habituelle, près du vitrage, travaillait. Guillaume parlait bas, debout devant elle.

— Mère, tout est prêt, c’est pour aujourd’hui.

Elle laissa tomber son ouvrage, leva les yeux, très pâle.

— Ah !… Vous êtes décidé.

— Oui, irrévocablement. À quatre heures, je serai là-bas, tout sera fini.

— C’est bien, vous êtes le maître.

Il y eut un terrible silence. La voix de Guillaume semblait venir de loin, comme déjà hors du monde. On le sentait inébranlable, tout entier à son rêve tragique, à son idée fixe de martyre, désormais cristallisée, enfoncée en plein crâne. Mère-Grand le regardait de ses pâles yeux