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mencé par l’apporter ici dans ses bras, il l’a forcée de marcher en la soutenant, si bien qu’aujourd’hui elle marche enfin toute seule. Positivement, en quelques semaines, elle a grandi, elle est devenue élancée et charmante… Oui, oui, je vous assure, c’est toute une seconde naissance, une création véritable. Regardez-les.

Antoine et Lise s’avançaient toujours lentement. Et de quelle vie les baignait le vent du soir, qui montait de la grande ville, éclatante et chaude de soleil ! S’il avait choisi pour l’instruire cet endroit d’horizon sublime, de grand air charriant tant de germes, c’était sans doute que nulle part au monde il n’aurait pu lui souffler plus d’âme, plus de force. L’amante enfin venait d’être faite par l’amant. Il avait pris la femme endormie, sans mouvement et sans pensée ; puis, il l’avait éveillée, l’avait créée, l’avait aimée, pour en être aimé. Et elle était son œuvre, elle était lui.

— Eh bien ! sœurette, tu n’es donc plus lasse ?

Elle sourit divinement.

— Oh ! Non ! c’est si bon, c’est si beau, de marcher ainsi devant soi… Avec Antoine, je veux bien aller toujours ainsi, simplement.

On s’égaya, et Jahan dit de son air de bonne humeur :

— Espérons qu’il ne te mènera pas si loin. Vous êtes arrivés maintenant, ce n’est pas moi qui vous empêcherai d’être heureux.

Antoine s’était planté devant la figure de la Justice, à laquelle le jour tombant semblait donner un frémissement de vie. À cette heure tendre, une telle sensibilité d’art l’exaltait, que des larmes parurent dans ses yeux. Et il murmura :

— Oh ! divine simplicité, divine beauté !

Lui, récemment, avait terminé un bois d’après Lise, tenant un livre à la main, éveillée à l’intelligence, à l’amour, qui était un chef-d’œuvre de vérité et d’émotion.