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C’était une figure de femme, nue, debout et haute, d’une majesté si auguste, dans la simplicité des lignes, qu’elle semblait géante. Sa chevelure éparse et féconde était comme les rayons de sa face, dont la souveraine beauté resplendissait, pareille au soleil. Et elle n’avait qu’un geste d’ogre et d’accueil, les deux bras légèrement tendus, les mains ouvertes, pour tous les hommes.

Jahan se remit à parler lentement, dans son rêve.

— Vous vous souvenez, je voulais donner un pendant à la Fécondité que vous avez vue, les flancs solides, capables de porter un monde. Et j’avais une Charité dont je laissais sécher la terre, tellement je la sentais peu, banale, poncive… Alors, j’ai eu l’idée d’une Justice. Mais le glaive, les balances, ah ! non ! Ce n’était pas cette Justice-là, vêtue de la robe, coiffée de la toque, qui m’enflammait. J’étais hanté passionnément par l’autre, celle que les petits, que les souffrants attendent, celle qui seule peut mettre enfin un peu d’ordre et de bonheur parmi nous… Et je l’ai vue ainsi, toute nue, toute simple, toute grande. Elle est le soleil, un soleil de beauté, d’harmonie et de force, parce que le soleil est l’unique justice, brûlant au ciel pour tout le monde, donnant du même geste, au pauvre comme au riche, sa magnificence, sa lumière, sa chaleur, qui sont la source de toute vie… Aussi, vous la voyez, elle se donne également de ses mains tendues, elle accueille l’humanité entière, elle lui fait le cadeau de l’éternelle vie dans l’éternelle beauté. Ah ! être beau, être fort, être juste, c’est tout le rêve !

Il ralluma sa pipe, éclata d’un bon rire.

— Enfin, je crois qu’elle est d’aplomb, la bonne femme… Hein ? qu’en pensez-vous ?

Les deux visiteurs lui firent de grands éloges. Pierre était très ému de retrouver, dans cette imagination d’artiste, la pensée qu’il roulait depuis si longtemps, l’ère prochaine de la Justice, sur les ruines de ce monde, que