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vous avez eu une chance, de ne pas avoir un troisième enfant.

Hortense soupira, d’un air de soulagement profond.

— Ah ! c’est bien vrai, car je me demande comment nous l’aurions élevé, celui-là. Sans compter que Chrétiennot me faisait des scènes abominables, en me disant que, si j’étais enceinte, il n’y était pour rien, et que, le jour où il y aurait un troisième enfant, il me planterait là et s’en irait vivre ailleurs… Vous savez que j’ai failli mourir de ma fausse couche, oh ! quelque chose d’affreux, dont je suis encore détraquée. Le docteur, maintenant, dit que je mange trop mal, qu’il me faut de la bonne nourriture. Tout ça ne fait rien, j’ai quand même été bien contente.

— Ça se comprend, ma chère, puisque vous ne demandiez que ça.

— Évidemment, nous ne demandions que ça. Chrétiennot répétait qu’il en danserait de joie… Et pourtant, et pourtant…

Un subit attendrissement fit trembler la voix d’Hortense.

— Quand le docteur a regardé et nous a dit que c’était un garçon, j’ai senti un si gros regret, que j’en suis restée toute suffoquée ; et j’ai bien vu que Chrétiennot se détournait, pour ne pas qu’on remarquât sa figure à l’envers… Nous avons deux filles, ça nous aurait fait tant de plaisir d’avoir un fils !

Des larmes noyèrent ses yeux, elle acheva, en bégayant :

— Enfin, puisque nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’en avoir un, ça vaut mieux que celui-là ne soit pas venu. Il a bien fait, pour lui et pour nous, de retourner d’où il venait… Ah ! n’importe ! ça n’est pas drôle, il y a vraiment trop d’embêtements dans l’existence.

Elle se leva, elle voulut partir, après avoir embrassé