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n’amena que deux grosses larmes dans ses yeux ; et il regardait les nouveaux venus d’un air d’indicible détresse, les mâchoires tremblantes.

— Ne t’émotionne donc pas, reprit la femme. Le médecin a dit que ça ne te valait rien.

En entrant, Pierre avait remarqué que deux personnes se levaient, se retiraient un peu à l’écart. Et il eut la surprise de reconnaître madame Théodore et la petite Céline, toutes les deux proprement vêtues, l’air à leur aise. Elles étaient venues voir, l’une son frère, l’autre son oncle, en apprenant l’accident, avec le bon cœur de tristes créatures qui avaient connu les pires souffrances. Maintenant, elles semblaient à l’abri de la misère noire, et Pierre se rappela ce qu’on lui avait conté, l’extraordinaire mouvement de sympathie autour de la fillette, après l’exécution du père, les dons nombreux, toute une lutte de générosité à qui l’adopterait, enfin l’adoption par un ancien ami de Salvat qui l’avait fait rentrer à l’école, en attendant de la mettre en apprentissage, pendant que madame Théodore elle-même était placée comme garde-malade, dans une maison de santé. C’était, pour elles deux, le salut.

Comme Pierre s’approchait pour embrasser la petite Céline, madame Théodore dit à celle-ci de bien remercier encore monsieur l’abbé. Elle continuait à l’appeler respectueusement ainsi.

— C’est vous, monsieur l’abbé, qui nous avez porté bonheur. Ça ne s’oublie pas, je lui répète toujours de ne pas oublier votre nom dans ses prières.

— Alors, mon enfant, vous retournez à l’école ?

— Oh ! oui, monsieur l’abbé, je suis bien contente ! Et puis, nous ne manquons plus de rien.

Une émotion l’étrangla, elle bégaya dans un sanglot :

— Ah ! si ce pauvre papa nous voyait !