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une petite valise d’apparence fort lourde. Tout de suite, il se souvint de la confidence de son frère, cette poudre dont une livre aurait fait sauter une cathédrale, cet engin destructeur qu’il voulait donner à la France guerrière, pour lui assurer la victoire sur les autres nations, et faire d’elle ensuite l’initiatrice, la libératrice. Et il se rappela que Mère-Grand était seule avec lui dans le secret, qu’elle avait longtemps couché sur des cartouches du terrible explosif, lorsque Guillaume craignait une visite de la police. Pourquoi donc, maintenant, déménageait-il ainsi la quantité de poudre qu’il fabriquait depuis quelque temps ? Un soupçon, une peur sourde lui donna la force de demander brusquement à son frère :

— Tu as donc quelque crainte, que tu ne gardes rien ici ? Si des choses t’embarrassent, tu sais que tu peux tout déposer chez moi, où personne n’ira fouiller.

Étonné, Guillaume le regarda fixement.

— Oui… J’ai su que les arrestations et les perquisitions recommencent, depuis qu’ils ont guillotiné ce malheureux, dans la terreur où ils sont qu’un désespéré ne le venge. Et puis, ce n’est guère prudent de garder ici des matières d’une telle puissance de destruction. Je préfère les mettre en lieu sûr… À Neuilly, ah ! non, petit frère, ce n’est pas un cadeau pour toi !

Il parlait d’un air calme, il avait eu à peine un tressaillement léger.

— Alors, reprit Pierre, tout est prêt, tu vas remettre prochainement ton engin au ministre de la Guerre ?

Une hésitation parut au fond de ses yeux de franchise, il fut sur le point de mentir. Puis, tranquillement :

— Non, j’y ai renoncé. J’ai une autre idée.

Et cela était dit d’un air de décision si redoutable, que Pierre n’osa l’interroger davantage, lui demander quelle était cette autre idée. Mais, à partir de cette minute, une attente inquiète le laissa frissonnant, il sentit d’heure en