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dans l’air même de la salle, on le sentait bon enfant, rieur et jouisseur, se moquant dans les coins, prêt à battre des mains, s’il y trouvait son plaisir.

Et ce fut vraiment extraordinaire. Quand Silviane parut au premier acte, chastement drapée, elle étonna la salle par le pur ovale de sa figure de vierge, à la bouche d’innocence, aux yeux de candeur immaculée. Puis, surtout, la façon dont elle avait compris le rôle stupéfia d’abord, charma ensuite. Dès ses confidences à Stratonice, dès le récit du songe, elle fit de Pauline une figure mystique envolée dans le rêve, une sorte de sainte de vitrail que la Brunehilde de Wagner, chevauchant les nuages, aurait emportée en croupe. Cela était parfaitement inepte, contre toute raison et contre toute vérité. On sembla ne s’y intéresser que davantage, cédant à la mode, mais sans doute excité plus encore par le contraste, entre ce lis ingénu et la fille aux goûts infâmes. Dès ce moment, le succès grandit d’acte en acte, au second pendant son explication avec Sévère, au troisième dans sa scène avec Félix, pour aboutir, au quatrième, à la scène avec Polyeucte, puis à la scène avec Sévère, d’une noblesse tragique si poignante. Un léger coup de sifflet, dont on accusa Sanier, assura la victoire. Monferrand et Dauvergne, comme le racontèrent les journaux, donnèrent le signal des applaudissements ; et toute la salle s’enflamma, Paris battit des mains, moitié par amusement, moitié par ironie peut-être, faisant aussi cette fête au faste de Duvillard et à la forte poigne de ce ministère Silviane, dont on plaisantait pendant les entr’actes.

Dans l’avant-scène du baron, c’était une passion, une bousculade.

— Vous savez, vint dire Dutheil, que notre critique influent, celui que je vous ai amené à souper un soir, est furieux. Il s’entête à dire que Pauline est une petite bourgeoise, touchée à la fin seulement par le miracle, et que