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avons déjà examiné son affaire. Vous savez que, chez nous, les admissions sont entourées des garanties les plus sérieuses. On nomme un rapporteur qui doit nous renseigner… Et n’est-ce pas vous, monsieur Dutheil, qui vous étiez chargé de ce Laveuve ?

Le député achevait un petit verre de chartreuse.

— Mais oui, c’est moi… Monsieur l’abbé, ce gaillard-là vous a joué une comédie. Il n’est pas malade du tout, et, si vous lui avez laissé de l’argent, il sera descendu le boire, derrière votre dos. Car il est toujours ivre, et avec ça l’esprit le plus exécrable, criant du matin au soir contre les bourgeois, disant que, s’il avait encore des bras, ce serait lui qui ferait sauter la boutique… D’ailleurs, il ne veut pas y entrer, à l’Asile, une vraie prison où l’on est gardé par des béguines qui vous forcent à entendre la messe, un sale couvent dont on ferme les portes à neuf heures du soir ! Et il y en a tant comme cela, qui préfèrent leur liberté, avec le froid, la faim et la mort !… Que les Laveuve crèvent donc dans la rue, puisqu’ils refusent d’être avec nous, d’avoir chaud et de manger, dans nos Asiles !

Le général et Amadieu approuvèrent d’un hochement de tête. Mais Duvillard se montrait plus généreux.

— Non, non, un homme est un homme, il faut le secourir malgré lui.

Ève, tout à fait désespérée à l’idée qu’on allait lui prendre son après-midi, se débattit, trouva des raisons.

— Je vous assure que j’ai les mains absolument liées. Monsieur l’abbé ne doute ni de mon cœur ni de mon zèle. Mais comment veut-on que je réunisse avant quelques jours le comité de ces dames, sans lequel je tiens formellement à ne prendre aucune décision, surtout dans une affaire déjà examinée et jugée ?

Et, brusquement, elle eut une solution.

— Ce que je vous conseille de faire, monsieur l’abbé,