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si étranglé d’épouvante, qu’il était mort avant d’arriver sous le couteau.

— Ah ! ça, c’est la vérité, cria Dutheil. J’y étais.

Massot le tira par le bras, indigné, bien qu’il se moquât de tout.

— Vous n’avez rien vu, mon cher. Salvat est mort très bravement, c’est bête à la fin de salir ce pauvre bougre jusque dans la mort !

Mais cette idée de la mort lâche de Salvat faisait plaisir à trop de monde. Et c’était comme un dernier holocauste qu’on mettait aux pieds de Monferrand, afin de lui être agréable. Il continuait de sourire de son air paisible, en brave homme qui cède aux seules nécessités. Il se montra particulièrement aimable à l’égard des trois magistrats, voulant les remercier, pour son compte, de la bravoure avec laquelle ils étaient allés jusqu’au bout de leur pénible devoir. La veille, après l’exécution, il avait obtenu, à la Chambre, dans un vote délicat, une majorité formidable. L’ordre régnait, tout allait pour le mieux en France. Et Vignon, qui avait voulu paraître au mariage, en beau joueur, s’étant approché, le ministre le retint, le fêta, par coquetterie et par tactique, dans la crainte, malgré tout, que l’avenir prochain ne fût à ce jeune homme, si intelligent et si mesuré. Puis, comme un ami commun leur apprenait une triste nouvelle, le fâcheux état de santé de Barroux, dont les médecins désespéraient, tous les deux s’apitoyèrent. Ce pauvre Barroux ! depuis la séance où il était tombé, il n’avait pu se remettre, il déclinait de jour en jour, frappé au cœur par l’ingratitude du pays, mourant sous cette abominable accusation de trafic et de vol, lui si droit, si loyal, qui avait donné sa vie à la république ! Aussi, répéta Monferrand, est-ce qu’on avoue ? Jamais le public ne comprend ça.

À ce moment, Duvillard, abandonnant un peu son rôle de père, vint les rejoindre ; et, dès lors, le triomphe du