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nelle, que le marquis de Morigny s’était résigné lui-même, malgré son indignation, à servir de témoin, faisant ainsi à celle qu’il avait toujours aimée le suprême sacrifice, celui de sa conscience. Et c’était cette effroyable histoire que Sanier, le matin, avait contée dans la Voix du Peuple, sous des pseudonymes transparents ; et il avait trouvé même moyen d’ajouter à l’ordure, mal renseigné comme toujours, l’esprit tourné au mensonge, ayant besoin que l’égout dégorgé quotidiennement par lui, pour le succès de la vente, charriât un flot sans cesse épaissi et de plus en plus empoisonné. Depuis que la victoire de Monferrand l’avait forcé de laisser dormir l’affaire des Chemins de fer africains, il se rejetait sur les scandales privés, il salissait et détroussait les familles.

Soudain, Chaigneux se précipita, mélancolique et affairé, mal boutonné dans sa redingote douteuse.

— Eh bien ! monsieur Massot, et votre article sur notre Silviane ? Est-ce convenu, passera-t-il ?

Duvillard avait eu l’idée d’utiliser Chaigneux, toujours à vendre, toujours prêt à servir de valet, en faisant de lui un racoleur, un ouvrier du prochain succès de Silviane. Et il l’avait donné à celle-ci, qui le chargeait de toutes sortes de basses besognes, le forçait à battre Paris pour lui recruter des applaudisseurs et lui assurer une publicité triomphale. Sa fille aînée n’était pas mariée encore, jamais ses quatre femmes ne lui avaient pesé plus lourd sur les bras ; et c’était l’enfer, il finissait par être battu, s’il n’apportait pas un billet de mille francs, le premier de chaque mois.

— Mon article, répondit Massot, ah ! non, mon cher député, il ne passera sûrement pas. Fonsègue le trouve trop élogieux pour le Globe. Il m’a demandé si je me fichais de l’austérité bien connue de son journal.

Chaigneux devint blême. C’était un article fait d’avance, au point de vue mondain, sur le succès que Sylviane