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groupe d’autres messieurs en redingote, les assistants se montraient le chef de la Sûreté Gascogne, d’air froidement administratif, et le juge d’instruction Amadieu, celui-ci souriant, très soigné, malgré l’heure matinale, venu là par devoir et importance, comme au cinquième acte d’un drame célèbre dont il se croyait l’auteur. Une rumeur plus haute monta de la foule lointaine, et Guillaume, en levant un instant la tête, revit les deux prisons grises, les platanes printaniers, les maisons débordant de monde, sous le grand ciel d’azur pâle, où le soleil triomphant allait renaître.

— Le voilà, attention !

Qui avait parlé ? Un petit bruit sourd, la porte qui s’ouvrait, brisa tous les cœurs. Il n’y eut plus que des cous tendus, des regards fixes, des respirations oppressées. Salvat était sur le seuil. Comme l’aumônier sortait devant lui, à reculons, pour lui cacher la guillotine, il s’arrêta, il voulut la voir, la connaître, avant de marcher à elle. Et, debout, le col nu, il apparut alors avec sa face longue, vieillie, creusée par la vie trop rude, transfigurée par l’extraordinaire éclat de ses yeux de flamme et de songe. Une exaltation le soulevait, il mourait dans son rêve. Quand les aides se rapprochèrent pour le soutenir, il refusa de nouveau. Et il s’avança, à petits pas, aussi vite, aussi droit que la corde, dont ses jambes étaient entravées, le lui permettait.

Guillaume, tout d’un coup, sentit les yeux de Salvat sur ses yeux. En s’approchant, le condamné l’avait aperçu, l’avait reconnu ; et, comme il passait à deux mètres à peine, il eut un faible sourire, il entra en lui son regard, si profondément, que Guillaume à jamais devait en garder la brûlure. Quelle pensée dernière, quel testament suprême lui laissait-il donc à méditer, à exécuter peut-être ? Cela fut si poignant, que Pierre, redoutant que son frère ne criât sans le vouloir, lui posa la main sur le bras.