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pelle, érigée au milieu du terrain, avait absorbé les deux tiers des fonds réunis. Des dames patronnesses, prises dans tous les mondes, madame la baronne Duvillard, madame la comtesse de Quinsac, madame la princesse Rosemonde de Harth, vingt autres, avaient la charge de faire vivre l’œuvre, à l’aide de quêtes et de ventes de charité. Mais, surtout, le succès était venu de l’heureuse idée d’avoir débarrassé ces dames des gros soucis de l’organisation, en choisissant pour administrateur général le rédacteur en chef du Globe, le député Fonsègue, un brasseur d’affaires prodigieux. Et le Globe faisait une propagande continue, répondait aux attaques des révolutionnaires par l’inépuisable charité des classes dirigeantes ; et, lors des dernières élections, l’œuvre avait ainsi servi d’arme électorale triomphante.

Camille se promenait, une petite tasse fumante à la main.

— Monsieur l’abbé, prenez-vous du café ?

— Non, merci, mademoiselle.

— Un petit verre de chartreuse alors ?

— Non, merci.

Et, tout le monde étant servi, la baronne revint, pour demander aimablement :

— Voyons, monsieur l’abbé, que désirez-vous de moi ?

Pierre commença presque à voix basse, la gorge serrée, envahi d’une émotion qui lui faisait battre le cœur.

— Je viens, madame, m’adresser à votre grande bonté. J’ai vu, ce matin, dans une affreuse maison de la rue des Saules, derrière Montmartre, un spectacle qui m’a bouleversé l’âme… Vous n’avez point idée d’une pareille maison de misère et de souffrance, les familles sans feu, sans pain, les hommes réduits au chômage, les mères n’ayant plus de lait pour leurs nourrissons, les enfants à peine vêtus, toussant et grelottant… Et, parmi tant d’horreurs,