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Alors, Guillaume sentit que la guillotine était là bien à sa place, dans ce quartier de misère et de travail. Elle s’y dressait chez elle, comme un aboutissement et comme une menace. L’ignorance, la pauvreté, la souffrance ne conduisaient-elles pas à elle ? et n’était-elle pas chargée, chaque fois qu’on la plantait au milieu de ces rues ouvrières, de tenir en respect les déshérités, les meurt-de-faim, exaspérés de l’éternelle injustice, toujours prêts à la révolte ? On ne la voyait point dans les quartiers de richesse et de jouissance, qu’elle n’avait pas à terroriser. Elle y serait apparue inutile, salissante, dans toute sa monstruosité farouche. Et cela devenait tragique et terrifiant que cet homme, qui avait jeté sa bombe, fou de misère, fût guillotiné là, sur ce pavé de misère.

Maintenant, le jour était né, il allait être quatre heures et demie. La foule lointaine, en rumeur, sentait la minute approcher.

Un frisson passa dans l’air.

— Il va venir, dit le petit Massot qui reparut. Ah ! ce Salvat, c’est tout de même un brave !

Il raconta le réveil, l’entrée dans la cellule du directeur de la prison, du juge d’instruction Amadieu, de l’aumônier et de quelques autres personnes, la façon dont Salvat, qui dormait profondément, avait compris en ouvrant les yeux, tout de suite maître de lui, pâle et debout. Il s’était vêtu sans aide, il avait refusé le verre de cognac et la cigarette que l’aumônier brave homme lui offrait, de même qu’il avait écarté le crucifix d’un geste doux et têtu. Puis, la toilette, les mains attachées derrière le dos, les jambes retenues par une corde lâche, la chemise échancrée jusqu’aux épaules, avait eu lieu rapidement, sans qu’une parole fût échangée. Il souriait, quand on l’exhortait au courage, il se raidissait, dans l’unique crainte d’une faiblesse nerveuse, n’ayant plus qu’une volonté où se bandait tout son être, mourir en