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resté debout. Il regrettait maintenant d’avoir insisté, en voyant, sur une table, le plateau où le café et les liqueurs étaient servis. Puis, son embarras augmenta, lorsque les convives entrèrent un peu bruyamment, les yeux brillants et les joues roses. Mais sa flamme de charité s’était rallumée en lui si ardente, qu’il vainquit cette gêne. Et il ne lui resta que le sourd malaise d’apporter l’effroyable matinée de misère qu’il avait vécue, tant de noir et de froid, tant de saleté et de faim, dans cette richesse si claire, si tiède, si parfumée, débordante d’inutile et de superflu, au milieu de ces gens qui semblaient très gais d’avoir bien déjeuné.

Tout de suite, la baronne s’avança avec Gérard, car c’était par celui-ci, dont il connaissait la mère, que le prêtre avait été présenté aux Duvillard, à l’époque de la fameuse conversion. Et, comme il s’excusait de se présenter à cette heure :

— Mais vous êtes toujours le bienvenu, monsieur l’abbé… Vous permettez que je m’occupe de mes hôtes, je suis à vous dans un instant.

Elle retourna près du plateau, pour servir le café et les liqueurs, aidée de sa fille. Gérard demeura, et justement il entretint Pierre, de l’Asile des Invalides du travail, où tous deux s’étaient rencontrés récemment, à l’occasion d’une cérémonie, la pose de la première pierre d’un nouveau pavillon, que l’on bâtissait grâce au don superbe de cent mille francs, fait à l’œuvre par le baron Duvillard. L’œuvre ne comptait encore que quatre pavillons, et le projet primitif en prévoyait douze, sur le vaste terrain donné par la Ville, dans la presqu’île de Gennevilliers ; de sorte que la souscription restait ouverte et qu’il se menait un grand bruit de cet effort charitable, réponse retentissante et péremptoire aux mauvais esprits qui accusaient la bourgeoisie repue de ne rien faire pour les travailleurs. La vérité était qu’une magnifique cha-