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la guillotine. Cela ruisselait, venait de Paris entier, comme poussé par une fièvre brutale, un goût de la mort et du sang. Et, malgré le sourd grondement de cette foule obscure, les rues pauvres restaient sombres, pas une fenêtre des façades ne s’éclairait, on n’entendait même pas le souffle des travailleurs écrasés de fatigue, sur leur triste lit de misère, qu’ils ne devaient quitter que plus tard, au petit jour.

En arrivant à la place Voltaire, Pierre, devant la cohue qui s’y bousculait déjà, comprit qu’il leur serait impossible de remonter la rue de la Roquette. D’ailleurs, cette rue était sûrement barrée. Il eut alors l’idée, pour gagner l’encoignure de la rue Merlin, d’aller prendre plus loin la rue de la Folie-Regnault, qui tourne derrière la prison.

Là, en effet, ils ne trouvèrent que désert et que ténèbres. La masse énorme de la prison, avec ses grands murs nus éclairés par la lune oblique, semblait tout un amas de pierres froides, mortes depuis des siècles. Puis, au bout, ils retombèrent dans la foule, un flot compact et pullulant, une agitation embrumée, où l’on ne distinguait que les taches pâles des visages. Ils eurent grand-peine à gagner la maison que Mège habitait, à l’angle de la rue Merlin. Mais les persiennes du logement que le député socialiste occupait, au quatrième étage, étaient hermétiquement closes, tandis que, dans l’encadrement de toutes les autres fenêtres, grandes ouvertes, on voyait moutonner des têtes. Et, en bas, la boutique du marchand de vin, ainsi que la salle du premier étage qui en dépendait, flambaient de gaz, bondées déjà de consommateurs, très bruyants, dans l’attente du spectacle.

— Je n’ose monter frapper chez Mège, dit Pierre.

Guillaume se récria.

— Non, non ! je ne veux pas… Entrons toujours ici. Nous verrons bien si, du balcon, on distingue quelque chose.