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réduire au simple rôle de force obéissante. Et il souriait, il conclut avec intention :

— Je ne sais où ce fou avait pris la formule de sa poudre. Mais si vous, un jour, vous la trouviez, cette formule, dites-vous donc que l’avenir est là peut-être, dans l’emploi des explosifs comme force motrice.

Puis, brusquement :

— À propos, ce Salvat, on l’exécutera après-demain matin. J’ai un ami au ministère de la Justice qui vient de me le dire.

Guillaume, jusque-là, l’avait écouté avec une sorte de défiance amusée. Et, tout d’un coup, l’annonce de cette exécution de Salvat le souleva de colère et de révolte. Depuis plusieurs jours, il la savait pourtant inévitable, malgré les tardives sympathies qui affluaient de toutes parts autour du condamné.

— Ce sera un assassinat, cria-t-il avec véhémence.

Bertheroy eut un petit geste de tolérance.

— Que voulez-vous ? il y a une société, elle se défend quand on l’attaque… Et puis, vraiment, ces anarchistes sont trop bêtes, lorsqu’ils s’imaginent qu’ils vont modifier le monde, avec leurs pétards. Vous savez mon opinion, la science seule est révolutionnaire, la science suffira à faire non seulement de la vérité, mais aussi de la justice, si la justice est jamais possible ici-bas… C’est pourquoi, mon enfant, je vis si tolérant et si calme.

De nouveau, Guillaume voyait se dresser ce révolutionnaire singulier, certain qu’il travaillait, au fond de son laboratoire, à la ruine de la vieille et abominable société actuelle, avec son Dieu, ses dogmes, ses lois, mais trop désireux de son repos, trop dédaigneux des faits inutiles pour se mêler aux événements de la rue, préférant vivre tranquille, renté, récompensé, en paix avec le gouvernement, quel qu’il fût, tout en prévoyant et en préparant le formidable enfantement de demain.